
Avec Sang-Hoon Degeimbre, un des chefs les plus doués de sa génération,
et Bernard Lahousse, un scientifique doublé d'un savant gourmet,
initiez-vous au food pairing. En exclusivité pour Weekend, ce duo de
choc vous propose de découvrir cette nouvelle technique culinaire,
savoureusement explosive.
Imaginez une agence matrimoniale d'un genre nouveau. Ses clients sont
des cuisiniers à la recherche de nouveaux mariages de saveurs inédits.
Pure élucubration ? Eh bien non ! Elle existera bientôt... sous la forme
d'un site Internet, lorsque Bernard Lahousse mettra en ligne une
première liste de 500 ingrédients. Il suffira d'en sélectionner un pour
voir apparaître ceux qu'il est conseillé de lui associer. « Nous
appelons cela le food pairing, explique notre interlocuteur. En
décryptant les propriétés de la carotte, par exemple, nous obtenons une
liste de molécules aromatiques. Et nous recherchons dès lors les autres
« produits » qui contiennent certaines de ces molécules. Dans le cas de
la carotte, nous avons pointé, entre autres, l'ionone, une molécule
aromatique qui se retrouve aussi dans l'essence de violette. A travers
l'ionone, on peut donc établir un food pairing entre carotte et
violette... et Sang-Hoon Degeimbre, lui, l'a déjà mis en scène dans une
de ses recettes. »
Bio-ingénieur de formation, travaillant au sein d'une entreprise
spécialisée dans l'innovation technologique, Bernard Lahousse fait
partie d'une nouvelle catégorie de gourmets : ces scientifiques
passionnés de nourriture (et souvent excellents cuisiniers amateurs) qui
appliquent les connaissances de leur métier au monde de la gastronomie.
« Mon ambition, poursuit-il, c'est d'apporter aux chefs les moyens de
mieux exprimer les goûts. Les connaissances et techniques existent, il
reste à les transférer au sein des cuisines en rendant accessible le
fruit des recherches qui sont, entre autres, menées dans l'industrie
alimentaire. »
Chocolat et Caviar
Sang-Hoon Degeimbre, le chef surdoué du restaurant L'Air du Temps, à
Noville-sur-Mehaigne, s'impose aujourd'hui dans le food pairing. Son
premier opus ? Le cannelloni de chocolat blanc farci de caviar. « Je
n'ai pas inventé cette association, souligne Sang Hoon Degeimbre. Le
chef britannique Heston Blumenthal l'avait imaginée avant moi. Surpris
de la qualité gustative de son plat, il l'a servi à François Benzi,
responsable du laboratoire de recherche de la société genevoise
Firmenich, un géant dans le domaine des arômes et des parfums naturels
ou de synthèse, et aussi un fin gourmet. Après une demi-heure de
recherches, cet expert avait trouvé la clé du mystère: le chocolat comme
le caviar sont tous deux riches en protéines appelées amines. » Cela
faisait plusieurs années que SangHoon Degeimbre cherchait un
interlocuteur avec qui confronter ses idées « d'associations improbables
». « Voici quatre ans, alors que je suivais les séminaires mensuels de
Hervé This (NDLR : physico-chimiste francais, concepteur de la
gastronomie moléculaire), à Paris, je l'avais contacté pour savoir s'il
pouvait m'aider à apporter des fondements scientifiques aux essais que
je tentais de manière intuitive. Mais cet aspect de la gastronomie
moléculaire n'entrait pas dans ses préoccupations. C'est seulement à
l'automne dernier que j'ai rencontré Bernard Lahousse et que nous avons
commencé à collaborer. » Les sources d'inspiration sont nombreuses.
Bernard Lahousse rapporte ainsi l'expérience de ce scientifique
britannique travaillant dans le secteur des plastiques : « Il a compris
que le chocolat réagissait de la même manière que ce type de polymères.
Il a donc agi de façon similaire pour obtenir un chocolat souple qu'on
peut travailler durant une demi-heure avant qu'il ne se fige, sans
passer par la phase délicate dite du tempérage. » La révolution
culinaire initiée par Ferran Adrià (NDLR : le chef espagnol qui a
starifié la cuisine moléculaire) et quelques autres n'en est donc qu'à
ses débuts. Et le food pairing n'en constitue qu'un exemple. « J'aime
toutefois cet exercice, s'enthousiasme Bernard Lahousse, car il permet
au cuisinier de faire travailler son imagination, sans recourir à des
adjuvants, comme les gélifiants. Ce sont les ingrédients eux-mêmes qui,
par leur association, créent de nouvelles sensations. »
Une chose est toutefois certaine : appuyée par la science, la cuisine
contemporaine n'a pas fini de nous étonner !!!
Source : Weekend.be : Jean-Pierre Gabriel